C'est quoi une "insoumission" citoyenne qui piétine l'histoire d'insurgé-es morts au combat ?
Dans un texte collectif, Alain Krivine et neuf autres anciens ou toujours militants de la Quatrième Internationale s’indignent des accusations lancées par Jean-Luc Mélenchon contre Paulo Paranagua, aujourd’hui journaliste au Monde. « S’il est un principe chèrement acquis face au stalinisme, écrivent-ils, c’est que le débat politique ne saurait être remplacé par la criminalisation de l’adversaire ».
Nous venons de lire le blog de Jean-Luc Mélenchon qui, pour s’en prendre à la couverture de sa campagne présidentielle par Le Monde, choisit de calomnier le passé militant d’un des journalistes de cette rédaction, en charge de l’Amérique latine. Paulo Paranagua est ainsi décrit par le candidat de « La France insoumise » comme un « assassin repenti » en tant qu'ancien dirigeant de la « Fraction rouge de l'ERP d'Argentine », qu’il qualifie de « groupe de provocateurs ». Jean-Luc Mélenchon n’hésite pas à qualifier Paulo Paranagua de « muse de la CIA », l’accusant à demi-mots d’être responsable « de la mort de toutes les personnes qui l’ont approché sur place ».
Ces accusations sont lancées sans l’ombre du début d’une preuve, sans qu’aucun fait ne viennent les étayer. C’est inacceptable. Cliquer ici
La Quatrième Internationale (QI), dont la LC (Ligue Communiste) fut la section française, et la lutte armée en Amérique Latine
Appui au
PRT-ERP : la guérilla urbaine en Argentine
Le courant
trotskyste, bien que divisé, est aussi anciennement implanté dans ce pays plus
ouvrier [d'Amérique Latine]. La section argentine de la QI, le Parti
Révolutionnaire des Travailleurs (PRT Combatiente), soucieuse de capter cette
nouvelle génération combattante séduite par l’action directe, décide [sous la
dictature du général Onganía (1966-1973)] de construire parallèlement parti et
armée révolutionnaire, sous le sigle ERP (Armée, ejército en espagnol,
Révolutionnaire du Peuple). Une lettre d’Argentine, publiée le 25 mai 1970 rend
compte d’une action des militants argentins de Rosario, une opération de
récupération d’armes dans un poste de police, soldée par l’arrestation de
quarante militants. L’organisation réalise aussi des expropriations militantes
et des distributions de vivres dans les quartiers populaires. Les actions
armées ont pour but de susciter « activité et auto-organisation des
masses ».
La LC, comme
la majorité de la QI, soutient la stratégie du PRT, se félicitant du succès de
l’enlèvement d’un des directeurs de la compagnie de frigorifiques Swift à
Rosario. Contre sa libération, la compagnie a accepté la réintégration de 200
travailleurs licenciés récemment, la distribution aux travailleurs habitant
neuf bidonvilles de la banlieue de Rosario de vêtements, aliments et
fournitures scolaires. […]
L’affrontement
entre l’ERP et les forces de l’ordre va croissant. On apprend à Paris, début
octobre 1971, la disparition d’un dirigeant du PRT, Luis Enrique Pujals, auquel
le CC de la LC rend hommage. Malgré ce revers, les actions de l’ERP se
répètent, avec l’enlèvement d’Oberdam Sallustro, PDG de la Fiat Argentine, le
21 mars 1972. C’est la tentative, à Córdoba cette fois, de rééditer le
« coup de Rosario », les ravisseurs demandant contre la libération de
Sallustro la mise en liberté de militants syndicalistes détenus pour cause de
conflits sociaux, la libération de cinquante guérilleros emprisonnés et
« l’indemnisation de Fiat au peuple pour la valeur de mille millions de
pesos (un million de dollars US) en trousses scolaires, tabliers et chaussures
pour les enfants des écoles ». Mais cette fois-ci l’entreprise Fiat,
après une tentative vaine de demande de médiation auprès de la LC à Paris, ne
cède pas aux exigences des ravisseurs, la police découvre la « prison du
peuple » où est détenu Sallustro et comme l’écrit Jorge Antonio
Echeverria : « Les règles de la guerre révolutionnaire ne laissaient
pas d’autre issue que l’exécution du PDG de Fiat, et dans ces conditions la
responsabilité de la mort de Sallustro incombe totalement au gouvernement qui
avait refusé toute négociation et ratissait toute la région ». [Une partie de
la QI critique ces actions qui maintiennent les gens dans la situation d'être
spectateurs, applaudissant au mieux lesdites actions, et n'aident pas à
construire des mobilisations de masse]
Les
militants de la LC membres du Secrétariat Unifié de la QI (P. Frank et A.
Krivine notamment) appartiennent à la majorité qui approuve l’ERP. Une
tentative d’évasion de révolutionnaires argentins se termine très mal le 22
août 1972. Cernés par la police après avoir détourné un avion, ils se rendent.
Ils sont massacrés une semaine plus tard sur la base aéronavale de Trelew, 11
appartenaient à l’ERP, les 5 autres étaient Montoneros, péronistes de gauche.
Fidèle à cette stratégie guérillériste, l’ERP-PRT s’éloigne vite d’une
Quatrième Internationale dont elle espérait un soutien plus total. Cliquer ici
Note : la mort,
dans un affrontement avec l'armée, du principal dirigeant du PRT-ERP, Roberto
Santucho, en 1976, seulement 3 mois après le nouveau coup d'Etat militaire,
préfigura l'affaiblissement et la destruction de la structure nationale de
cette organisation sous les coups de boutoir d'une répression féroce (pensons
aux 30 000 "disparus").
Daniel Bensaïd et la lutte armée en Amérique Latine
Dans le cas
de l’Amérique latine […] le document adopté par le IXe congrès
mondial [de la Quatrième Internationale] est un document à contretemps. Il ne
se contente pas en effet de prôner la lutte armée, qui n’est en elle-même ni
une orientation ni même une stratégie, mais une formule générale. Il privilégie
incontestablement la guérilla rurale à un moment où cette pratique, après la
mort du Che en Bolivie, faisait l’objet d’une reconsidération critique en
Amérique latine même. L’organisation la plus déterminée dans l’application de
la lutte armée fut le Partido Revolucionario de los Trabajadores-Ejército
Revolucionario del Pueblo (Parti révolutionnaire des travailleurs, Armée
révolutionnaire du peuple, PRT-ERP) d’Argentine dirigé par Roberto Santucho.
Dès 1970, il a donné sa propre interprétation de la formule algébrique
abstraite de lutte armée en créant l’ERP. Dès lors, son orientation s’inspirait
davantage des théories vietnamiennes de la guerre populaire prolongée (et
accessoirement d’une compréhension approximative de la lutte de libération
algérienne) que des théories cubaines du foco. Tout en découlait avec une
implacable logique : provoquer un état de belligérance, établir des zones
libérées, trouver des alliés démocratiques. Cette stratégie de la guerre
prolongée reposait sur le télescopage entre une lutte réelle contre la
dictature militaire argentine et l’anticipation d’une lutte de libération dans
le cas probable d’une intervention américaine.
Quiconque se
rendait en Argentine en 1972-1973 (lors du processus électoral qui ramena Peron
au pouvoir) pouvait constater la violence quotidienne, mais aussi comprendre
qu’il ne s’agissait pas d’un pays en guerre et que cette orientation allait
contre un mur. De plus, il y avait un lien logique entre cette perspective et,
de la part de Santucho, la recherche d’appuis internationaux étatiques (d’où
l’alignement sur Cuba et le refus de condamner l’intervention soviétique en
Tchécoslovaquie). Dès 1972, tout cela fit l’objet de critiques écrites et de
discussions dans l’Internationale. Preuve que le gauchisme avait ses limites.
Ce fut l’époque d’un « léninisme pressé », qui reconnaissait dans le
foquisme [théorie du foco, le foyer de guérilla, inspiré de la
révolution cubaine et censé préparer les conditions d'un soulèvement populaire
dans tout le continent] latino-américain son frère jumeau. Cliquer ici
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A lire le
chapitre "Pleurer pour toi, Argentine" de l'autobiographie de Daniel
Bensaïd, Une lente impatience (Stock, 2004).
On y lit en
particulier que Paolo Antonio Paranagua faisait partie de la direction d'un
petit groupe, Fraction Rouge du PRT-Combatiente, qui, dans les années 70, avait
été exclu du PRT de Roberto Santucho. Pendant son exil parisien, Paranagua
avait rejoint la Ligue dont il animait la cellule de Renault-Billancourt. De
retour en Argentine avec les autres exilé-es, il subit la répression (prison,
torture) tout en réchappant à la mort. Trois ans après la rencontre que Daniel
Bensaïd eut, en Argentine, avec les militant-es de ce groupe, en tant qu'envoyé
de la QI, la moitié d'entre eux, "jeunes intrépides, pleins de confiance
en l'avenir socialiste de l'humanité […] avaient été arrêtés, torturés,
assassinés" (p 181).
En
conclusion de son évocation de ses périples politiques argentins et, en
assumant le bilan amer de l'échec de la lutte armée, qu'avec la majorité de la
QI, il avait soutenue, Daniel Bensaïd a une pensée émue pour ses camarades
disparu-es, "tous ces vaincus auxquels une dette nous lie", dans la
lutte contre une des dictatures les plus sanglantes du Cône Sud. Par son
attaque infâme contre l'un des survivants de cette expérience douloureuse,
quelle que soit l'évolution politique qu'il a connue et que l'on peut à juste
titre critiquer, Jean-Luc Mélenchon insulte la mémoire de courageux/-ses
combattant-es pour qu'advienne un autre monde ! Et, par là, cet
"insoumis" revendiqué montre sa soumission de politicien à l'un des
plus méchants travers du monde immonde contre lequel nous luttons : la
calomnie, à forts relents staliniens, d'insoumis-es qui n'ont pas hésité à
risquer leur vie pour leur idéal anticapitaliste. Impardonnable !
Antoine
Antoine
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A propos d'une autre méchante sortie de Mélenchon : contre les "travailleurs détachés"...
Lors du débat au Parlement européen qui a suivi le Brexit, Jean-Luc Mélenchon s’est autorisé une nouvelle sortie ouvrant la voie à une nouvelle polémique...
Une polémique certes passée au second plan après le massacre de Nice et le coup d’État manqué en Turquie, mais qui (re)pose la question des positionnements du JLM 2017.
Dérapage ou système ?
Dans ce discours, Mélenchon condamnait « une Europe de la violence sociale, comme nous le voyons dans chaque pays chaque fois qu’arrive un travailleur détaché, qui vole son pain aux travailleurs qui se trouvent sur place ». Une « actualisation » nauséabonde du célèbre sketch de Fernand Raynaud : « J’suis pas un imbécile puisque j’suis douanier. J’aime pas les étrangers, ils viennent manger l’pain des Français... ». Devant la reprise et la critique de sa sortie par les médias, Mélenchon s’est placé dans une posture qu’il affectionne : la victime des médias, du journal le Monde, « relais de divers groupes connus pour leurs opinions parfois très discutables. Le même journal et la meute... » Chacun trouvera sa place. Cliquer ici
Je reste quelque peu surpris - le mot est faible - lorsque
j'entends JLM reprendre à la volée le mot de "vol", je le dis sans
détour, un vocabulaire d'extrême-droite. Est-il donc si difficile, ici
encore, de distinguer "vol" et mise en "concurrence" ? L'on ne me fera
pas croire que les travailleurs européens ne comprennent pas moins le
mot de "concurrence"que celui de "vol". Mais si décidément l'on devait
parler un langage plus cru et plus dru - pourquoi pas ? - alors il reste
un mot disponible pour décrire ce qui reste tout de même la base
théorique de toute pensée et politique de gauche. A savoir le phénomène
d'extorsion, ou plutôt de production de la plus-value imposée à la forme
et à la valeur du travail dans les rapports de production capitalistes
et ce, d'où que viennent les travailleurs. Des travailleurs pris ici
dans leur ensemble, et non plus compris dans le cadre d'une concurrence
entre eux. Ce mot est simple et parle fort; c'est le mot
d'"exploitation". Le mot d'"exploitation" trace en effet non plus une
frontière, une ligne de démarcation entre les travailleurs (nationaux et
étrangers), mais entre le travail et le capital. Tiré de Il y a des mots de droite: le confusionnisme de Jean-Luc Mélenchon (blog de Mediapart)
Illustration par NPA 34
Illustration par NPA 34
En réponse aux objections des défenseurs de la déclaration de Mélenchon
Ce n'est pas la question
des travailleurs détachés qui est le problème dans la phrase incriminée. Cette
question est un autre problème qui mérite d'être traité spécifiquement. LE
problème ici c'est que, sur cette question, Mélenchon greffe un pan du discours
FHaine ! […] Que les déplorateurs d'une supposée chasse aux sorcières
antiMélenchon commencent par analyser ce que ce segment du discours xénophobe
apporte au règlement, en solidarité des travailleurs, de l'affaire des
travailleurs détachés ! […] Traiter de voleur du pain, etc. serait un facteur
d'unification du monde du travail contre ceux qui sécrètent cette aberration
des "travailleurs détachés" ? […]
Vous pensez légitime de
désigner des voleurs qui seraient dans le camp des travailleurs. Les fachos
utilisent ce terme car leur objectif est de diviser le monde du travail. Je
crédite encore Mélenchon de ne pas chercher à diviser ce monde-là. Mais ne pas
chercher à faire n'empêche pas que l'on fasse : comment peut-on imaginer que
des travailleurs déjà influencés par le FN (je ne parle même pas des autres qui
pourraient basculer) vont lutter ensemble avec des gens, même travailleurs, qui
les volent, qui volent leur pain (syndrome de la famine) ? C'est tout
simplement délirant. Et c'est à rapprocher du discours mélenchonien sur la France,
qui rajoute mais rajoute seulement que c'est la France du travail qui est
l'objet de son amour et que c'est depuis l'histoire privilégiée de cette
France-là (qui n'empêche pas qu'on rende hommage à Dassault et à son tricolore
Rafale !) qu'on drainerait le monde international du travail derrière soi !
Déjà il est discutable que cette France-là puisse être le guide universel des
travailleurs du monde entier (d'autant que la défense mélenchonienne de la
France ne se réduit pas à celle des seuls travailleurs !), mais le fait est
qu'avec la phrase ignoble prononcée à Strasbourg, Mélenchon casse cette
postulation de son discours que la France laborieuse oeuvrerait à l'unité
internationale du travail ! L'utilisation du lexique du vol trace une brèche
entre les travailleurs de l'extérieur (c'est quoi déjà l'extérieur ?) et ceux
"en place" (c'est quoi cette place ?) qui redouble désastreusement la
dichotomie lexicale "voleurs"/"volés". […]
Vous dites "le
travailleur détaché qui vole son pain au travailleur qui se trouve sur
place" n'est pas [dans la phrase de Mélenchon] spécialement français mais
européen." Là vous vous trompez : ce n'est pas l'européité qui est
immédiatement en jeu dans la phrase et, pour tout dire, dans le raisonnement
général de Mélenchon. Vous loupez la notion de "place" que celui-ci
pose comme référent spatial mais aussi de fait politique. Relisez la phrase
problématique : elle a une logique de la réduction, ça démarre sur l'Europe,
certes, mais ça file vite vers "chaque pays" et ça déroule "travailleur
détaché" : vous croyez que cela veut dire "détaché en Europe" ?
Niet : la suite le dit clairement par le doublet des contraires
"détaché" vs "sur place". Et sur place c'est quoi ? Eh
bien : le pays et au fond...la nation ! Par-delà le scandale d'avoir
piqué le lexique du FN, il y a cette conception mélenchonienne, plus ou moins
latente jusqu'ici, mais que le Brexit fait émerger à la surface avec force
bouillonnements : l'Europe est dénoncée (à juste titre si l'on précise que
c'est l'Europe capitaliste) et la solution c'est de repartir sur la nation, en
reconnaissant, au demeurant, aux autres de partir aussi sur une logique de la
nation. Et le piège, antérieur à ce dérapage mariniste, c'est cela : il y
aurait des "places" où les autres seraient nécessairement des
"étrangers", chacun dans sa place serait entouré d'étrangers ayant
tendance à se détacher pour envahir et piquer notre pain de chacun, avec cette
particularité que ce constat d'une frontière, un vrai clivage, eh bien cela donne
des droits, des acquis que les autres ne doivent pas menacer. Et pour éviter de
les menacer, ces "autres" doivent cesser d''être
"détachés" car ce qui mélenchoniennement compte c'est que
l'on soit "rattachés" : en clair, pour certains, à leur misère ! Et pour
tous à la nation, à la patrie, et, dans l'esprit de Jean-Luc, ce n'est pas
n'importe laquelle, c'est la Fraaaaaanceeeeeeeu! Qu'après tout cela soit
assorti de la nécessité d'envisager de reconstituer un lien inter-nations (pas
supranational !), oui, oui, bien sûr. Mais dans l'immédiat c'est "pas
touche à ma place, toi le détaché" ! Voilà ce qui est inadmissible, pour
moi, dans le discours mélenchonien, et pas seulement une phrase qui, détachée
(tiens, tiens) de son contexte, trahirait un fond général si sublime. Eh bien
non, le fond lui-même est plus que discutable et en fait le mérite de cette
phrase mariniste c'est de montrer à quels dérapages expose ledit fond. Et là,
on touche à du lourd chez Mélenchon et , je comprends que pour ses partisans,
cela soit inadmissible de l'admettre. Avec le risque qu'accompagner un
dériveur, c'est dériver soi-même. A chacun de prendre ses responsabilités !
Tiré des échanges de l'auteur de Mélenchon et le travailleur voleur ... ça ne mange pas de Pen ? et ce certain-es de ses lecteurs/-trices.
Et, cerise sur le gâteau, à propos des manifs de flics
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