Retour sur le fascisme pour qu'il ne fasse pas retour
[…] La thèse principale de Rosenberg est donc ici que « l’idéologie qu’on appelle aujourd’hui “fasciste” était déjà bien répandue à travers l’Europe avant la guerre », et exerçait une forte influence sur les masses.
Rosenberg considérait le fascisme italien comme une force de modernisation qui avait brisé le pouvoir des cliques du Sud pour ouvrir la voie au capitalisme industriel du Nord. En Italie, « le fascisme fut et resta le parti du Nord développé », écrasant la classe ouvrière mais brisant également la domination des cliques féodales arriérées du Centre et du Sud de l’Italie. « Mussolini fut le dirigeant de l’Italie moderne du Nord, avec sa bourgeoisie et son intelligentsia ». « La concentration des capitaux aux mains de l’Etat, au travers du soi-disant ’’système corporatiste’’, facilita le contrôle des groupes de capitalistes les plus efficaces. Furent systématiquement développées l’industrie lourde, les industries chimique, automobile, aéronautique et navale. Où trouve-t-on là l’esprit ’’petit-bourgeois’’ censé constituer l’essence du fascisme? ».
[…] Une partie importante de cet essai entreprend de discréditer la dite « théorie de la classe moyenne » du fascisme. Rosenberg était convaincu que le fascisme n’était pas un mouvement petit-bourgeois, pas plus que la base de la masse des partis fascistes n’était limitée à la petite bourgeoisie.
[…] Les nazis pouvaient attirer « tout un éventail de classes et d’intérêts », même si « c’est la classe moyenne qui était la plus attirée vers le parti ». C’est, en gros, la position de Rosenberg, puisqu’il fait sans cesse référence aux cols-blancs et aux fonctionnaires en tant qu’éléments déterminants de la base sociale des nazis, tout en refusant de caractériser ni le parti ni le mouvement en tant que parti (ou mouvement) de la classe moyenne.
[…] « La vaste majorité de la population en général ne réclamait pas à grands cris de mesures antisémites, ni ne faisait pression pour les obtenir » ; cependant, ils permirent qu’un gouffre se crée entre la minorité juive (et bien sûr d’autres minorités, JB) et eux. Nous avons donc là un paradoxe, ou un paradoxe apparent que Browning, dans d’autres travaux, appelle une « réceptivité très large aux tueries de masse », ou bien, ce qui a été appelé, de façon moins dramatique, « le soutien public allemand au pouvoir nazi », y compris le fait que la connaissance des camps de concentration (déportation et exécutions de masse des juifs, etc..) était disponible et « largement répandue » ; il fallait rajouter à cela la distinction aiguë et évidente entre les éléments ouvertement nazis de la population et la population civile, le soi-disant « Mitlaüfer », qui pouvait montrer un dégoût répété devant des actes de brutalité et de violence, tout en acceptant les principes généraux de discrimination légale et d’exclusion sur des bases raciales, et entretenir des attitudes discriminatoires.
[…] Le travail innovant de Bankier, qui s’attaque de front à la question de la docilité et montre par quelles voies complexes interagissent certaines formes passives et d’autres génocidaires du racisme, les livres de Claudia Koonz Les mères-patrie du IIIe Reich et La Conscience Nazie constituent tous deux des indicateurs importants de certaines possibilités pour les socialistes et la gauche marxiste de restructurer les termes du débat sur le fascisme, sans exagérer le degré d’intégration des travailleurs (par exemple) dans l’Etat fasciste, ni se voiler la face devant la question difficile concernant la forme et le degré de complicité de masses importantes de la population avec les crimes du régime ; nous choisissons ici d’y voir – un « consensus génocidaire », une « complicité passive » ou une « indifférence morale » ordinaire.
Le texte intégral est à retrouver sur le site de Contretemps en cliquant ici
Illustration par NPA 34
A lire aussi
"La fonction historique de la prise du pouvoir par les fascistes consiste
à modifier par la force et la violence les conditions de reproduction
du capital en faveur des groupes décisifs du capitalisme monopoliste."
La victoire du fascisme traduit l’incapacité du mouvement ouvrier à
résoudre la crise du capitalisme de la maturité conformément à ses
propres intérêts et objectifs. En fait, une telle crise ne fait, en
général, que donner au mouvement ouvrier une chance de s’imposer. Ce
n’est que lorsqu’il a laissé échapper cette chance et que la classe est
séduite, divisée et démoralisée, que le conflit peut conduire au
triomphe du fascisme.
[…] La dictature fasciste […] défend non pas les intérêts historiques de la petite
bourgeoisie, mais ceux du capital monopoliste. Une fois cette tendance
réalisée, la base de masse active et consciente du fascisme se rétrécit
nécessairement. La dictature fasciste tend elle-même à détruire et à
réduire sa base de masse. Les bandes fascistes deviennent des appendices
de la police. Dans sa phase de déclin, le fascisme se transforme à
nouveau en une forme particulière de bonapartisme. Cliquer ici
Hier le fascisme, aujourd'hui l'extrême droite populiste ?
[…]
Pour accéder à l'intégralité de cet article ainsi qu'à la totalité du numéro de la revue Contretemps (septembre 2003), dont le dossier est consacré à l'extrême droite, cliquer ici
Le FN, un parti néofasciste
Le FN, un parti néofasciste
Il est commun, parmi certains spécialistes de l’extrême droite
contemporaine comme Jean-Yves Camus ou Nicolas Lebourg (dont les travaux
sont au demeurant très utiles), de moquer la prétendue naïveté de ceux
qui assimilent ou, tout simplement, comparent le FN au fascisme ou au
nazisme, en faisant dériver cette assimilation ou cette comparaison
d’une forme de « paresse intellectuelle ».
C’est pourtant le refus de comparer les dynamiques politiques et
sociales à l’œuvre dans les sociétés européennes durant
l’entre-deux-guerres et aujourd’hui qui incline à la paresse, en
particulier parce qu’il suggère que l’extrême droite contemporaine n’a
rien à voir avec le fascisme historique en raison de sa rupture
revendiquée avec les formes les plus visibles et violentes d’apparition
et d’enracinement du fascisme, d’ailleurs très variables selon les
sociétés et les circonstances dans lesquelles s’imposèrent des
mouvements et des dictatures d’extrême droite (de l’Allemagne nazie au
Portugal de Salazar, de l’Italie mussolinienne au régime de Vichy,
etc.). […]
Contre les demi-habiles
qui refusent toute comparaison entre l’actuelle montée du FN et le
fascisme historique, la catégorisation comme « postfascisme » du FN,
proposée par l’historien Enzo Traverso,
a au moins le mérite de ne pas effacer ce lien, donc d’autoriser la
continuité d’une réflexion stratégique. Elle a néanmoins le défaut
d’être purement chronologique (le « postfascisme » c’est l’extrême
droite après le fascisme), même si Traverso a tenté de lui
donner un contenu politique en invoquant notamment l’importance prise
par l’islamophobie pour l’essentiel de l’extrême droite en Europe –
point sur lequel on ne peut qu’être d’accord. Préférer parler de néofascisme à
propos du FN, ce n’est pas s’en remettre à une catégorie morale visant
simplement à délégitimer le FN, c’est adopter une catégorie politique
insistant sur la continuité du projet fasciste malgré le changement,
relatif, des formes et des moyens (le faible recours à la violence de
rue en particulier).
Étant donné les éléments présentés plus haut,
il n’y a aucune raison de penser que le FN a rompu avec le projet
historique de l’extrême droite française : une régénération de la nation
et de son unité, fondé sur la volonté d’une mise au pas, sinon d’une
soustraction violente, de tous les éléments considérés comme allogènes
ou sources de divisions (migrant•e•s, descendant•e•s de colonisé•e•s,
musulman•e•s, homosexuel•le•s, militant•e•s internationalistes,
syndicalistes, etc.). Cliquer ici
Nouveautés et invariants du FN
Dans “Le ‘nouveau’ Front national en questions”, Alexandre Dézé,
maître de conférences en sciences politiques à l’université de
Montpellier et Sciences Po Paris, démontre que contrairement aux
stéréotypes, les invariants du FN à la papa l’emportent sur les
nouveautés.
[…] Le FN est-il devenu un parti comme les autres ? Le lifting réalisé par Marine Le Pen a-t-il vraiment changé sa face ? La réponse est encore une fois négative selon Alexandre Dézé, qui démontre en comparant la stratégie, le programme et les soutiens du FN avant et après l’accession à sa présidence de Marine Le Pen, qu’“il existe bien plus d’invariants entre le FN mariniste et le FN lepéniste que de nouveautés”. La dédiabolisation ? L’histoire du FN est celle d’une entreprise de dédiabolisation éternellement renouvelée. Rien d’inédit donc dans les mains tendues du FN à la droite, ou encore dans les micro-partis périphériques censés accueillir de nouveaux adhérents en présentant un visage respectable.
Au niveau du programme, le FN repose toujours sur ses fondamentaux : critique anti-système, préférence nationale, défense de la nation, rejet de l’Union européenne, sortie de la zone euro, rejet de l’immigration et des immigrés, désignés comme étant la cause du chômage et de l’insécurité. La réorientation antilibérale du FN date de 1992, le discours social de Marine Le Pen fait donc office de continuité. Cliquer ici
Quoi qu’en dise sa présidente, le Front National n’a jamais cessé d’être raciste et xénophobe, à en juger par l’opinion de ses adhérents et sympathisants. C’est ce que montre le sondage annuel effectué pour la Commission nationale consultative des droits de l’homme. Cliquer ici
De la nécessité de rompre avec l'antifascisme ...électoraliste !
Extrait de ce qui fut publié sur ce blog, au lendemain de l'élection régionale de 2015, dans Elections régionales: point de vue pour débattre de la déroute de l'alternative politique... et de l'urgence de la remettre sur les rails d'un combat contre le FN
qui soit radicalement déconstructeur des ravages du consensus
gauche-droite !
Malgré les
divergences d'analyses, parfois profondes, sur les résultats de ces
élections, il y a quasi consensus sur l'idée qu'il vient de s'opérer un
tournant politique en France. Le point d'irradiation de cette vague
consensuelle est bien entendu le score du Front National qui confirme sa
capacité à stabiliser à un niveau élevé ses résultats électoraux et
même à enclencher sur ce socle une dynamique de progression importante.
Qu'on en juge : obtenant nationalement, au premier tour, plus de 6
millions de voix, il parvient à progresser de 800 000 voix au second
tour (+ 400 000 voix par rapport à la présidentielle de 2012). Son échec
à obtenir la majorité dans une région, à relativiser par l'obtention de
358 conseillers régionaux, a provoqué un soulagement qui mérite
pourtant d'être scandé sur le mode du "ce n'est que partie remise". Il
n'est pas politiquement inadmissible, à cet égard, de dire que, sur ce
point, Marine Le Pen a raison.
Outre en
effet le résultat en voix que les pourcentages n'autorisent pas, au
demeurant, à minimiser, il faut être conscients qu'à ces élections, le
FN s'est affirmé comme le premier parti de France et qu'il aura fallu,
et c'est un point sur lequel il faut s'attarder car il donne le sens
profond de l'évènement, un front uni droite-gauche pour l'empêcher
d'empocher les dividendes politiques de sa percée, à savoir des
présidences de région. […]
L'onde de
choc frontiste aura été telle qu'il aura fallu que se mettent en
mouvement deux logiques politiques, l'une, en continuité institutionnelle,
l'autre de réinvestissement institutionnel, pour que le FN échoue sur
son propre investissement des institutions à la hauteur de ses visées, à
savoir la majorité dans quelques régions : ces deux logiques sont,
d'une part, celle, certes hémiplégique côté droit, de "l'unité
républicaine", l'autre la forte poussée de participation (+ 10 points)
au second tour.
Le fascisme est aux portes...
Il n'y a pas dans ces lignes la prétention d'avoir
totalement cerné une problématique politique complexe pour avoir été,
en grande partie, complexifiée, opacifiée par ceux qui, discrédités
politiquement, parviennent à se saisir de ce que la Ve République recèle
comme bases de manoeuvres pour faire de faiblesse force : en jetant
par-dessus bord, pour la gauche de gouvernement, ses derniers marqueurs
de gauche et ainsi en décrochant encore plus des couches populaires par
l'agression qu'elle leur fait subir. Quitte à faire monter "l'ennemi
absolu" ! Absolu ? Le voeu de l'auteur de ces réflexions serait que soit mesuré que le FN participe,
mi-volontairement, mi-involontairement, du jeu de simulacre par lequel
la caste politicienne créé son unité gauche-droite; qu'à cet effet il est surinvesti comme
parti "fasciste" et donc comme totalement étranger à "l'arc
républicain" alors que ledit arc est, lui-même, largement contaminé, non
par ce supposé fascisme, mais par une idéologie d'extrême droite
radicale. On peut combattre résolument la proposition de Marion
Maréchal-Le Pen de couper les vivres du Planning Familial, s'élever
contre les provocations "préfascistes" de "la garde biterroise" de
Ménard, s'organiser pour défendre les migrants des agressions fascistes
sans en conclure que la politique du FN est celle de la construction de
milices antiouvrières, dans un contexte, au demeurant, on l'a déjà
évoqué, où, rendant vaine la fonctionnalité de réponses fascistes, le
mouvement ouvrier et le mouvement social s'illustrent, pour l'un, par
son atonie et, pour l'autre, par sa difficulté à retrouver une masse critique de convergence des luttes.
Ce que ces
élections montrent c'est avant tout que le FN, malgré la présence en son
sein, et autour de lui, d'éléments proprement fascistes pouvant prendre
de l'ampleur suite à un succès électoral, sert avant tout à droitiser
la gauche et la droite sur ses thèmes sécuritaires (état d'urgence avec
le développement de la justice administrative au détriment de celle des
juges, renforcement des réponses policières, fichages, transformation de
l'espace public en zones de non-droit, adhésion à une laïcité
identitaire et islamophobe, violences contre les migrants, possibilité
de décréter des déchéances de nationalité, etc.). Cette politique en fait "sécuritariste" devient l'outil essentiel de pacification nécessaire à l'imposition
des mesures antisociales telles que préconisées par le Medef et l'UE et
appliquées avec zèle par le PS et LR : le plus incroyable dans la
mobilisation anti-FN du second tour est qu'elle a reposé sur le double "oubli"
de la question sociale et de l'extrême droitisation lepénisante de la
proclamation de l'état d'urgence avec son cortège d'abus policiers
(perquisitions violentes, assignations à résidence hors rapport à la
lutte dite antiterroriste...). Il est désastreux de constater que ce double oubli par focalisation terrorisée sur un supposé danger fasciste, impuissant à entraver, à moyen ou même à court terme, la montée du FN, légitime la logique sécuritaire que les partis républicains bénéficiant du vote antiFN empruntent pourtant largement à ce parti !
On comprendra aisément, que, dans la logique de ce qui vient d'être énoncé, en particulier en corollaire du refus de considérer le FN comme un parti à proprement parler fasciste, l'idée même que le PS puisse être "de gauche" nous apparaît une erreur majeure. Sans que l'on puisse dater précisément (cela mérite un travail d'explication autrement approfondi que celui-ci) le saut qualitatif par lequel il est devenu un parti bourgeois, capitaliste, de droite, on peut affirmer qu'il y a, dans la survivance du cliché du "PS un parti de gauche", un facteur politique essentiel de la crise de "la gauche". C'est en effet par l'incapacité à rompre avec le vieux schéma de "l'unité ouvrière contre le fascisme", que la majorité de la gauche radicale (essentiellement le Front de gauche) est devenue, par sa fusion sous hégémonie socialiste de second tour, un couteau sans lame et qu'elle vient d'être phagocytée par le jeu politicien de la droite : le PS et Les Républicains ! Pour le plus grand profit de socialistes parvenant à griller sur leur gauche les résidus d'une opposition anticapitaliste/antlibérale et à piéger une droite grignotée par le FN. Mais avec le dernier paradoxe que cette entrée de la droite sur orbite du PS, quoique non promise nécessairement à aboutir, devient en même temps le signe de la captation capitaliste définitive du PS. Ce qui a pour conséquence que la dénonciation de l'UMPS chère au FN gagne en crédibilité.
Il reste aux forces organisées sur la gauche du PS, aux militant-es assumant de continuer le combat pour un autre monde 1/ à trouver les ressorts pour se positionner, à contre-courant, contre l'inscription des partis d'alternative dans le jeu instrumental par lequel les Hollande-Valls-Cambadélis empruntent au FN nombre de ses préconisations politiques tout en le privant d'une alliance à vocation majoritaire avec de larges fractions de la droite, et 2/ à repartir donc de zéro dans la démystification de ce qu'un antifascisme mal compris permet comme neutralisation de l'alternative anticapitaliste ainsi que dans l'effort renouvelé d'organisation de la lutte radicale contre le système où le combat contre le FN n'est pas dissociable du rejet des consensus propatronaux (qu'ils se parent de leurs atours de gauche, républicains, voire citoyens, démocrates...). Le tout en développant des réponses politiques en direction des abstentionnistes commençant par reconnaître qu'ils participent, à part entière, d'une prise de distance à conserver contre vents et marées vis-à-vis des chiens de garde du système d'exploitation et d'oppression. Une distance à transformer en mode d'action ouvertement contestataire pour qu'ils ne soient pas non plus instrumentalisés comme on l'a vu dans ce second tour..
Antoine
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