Piqûre de rappel : N'oublions pas Gaza !
Au delà de Gaza, n'oublions pas, n'oubliez pas, n'oubliez pas, Gaza, Alep, Jénine, les Rohingas, ces hommes et femmes déplacé(e)s, opprimé(e)s, assassiné(e)s; ces villes peuplées de regards humains, de voix et de cris d'hommes et de femmes !
Leurs luttes sont les nôtres !
Lisons, lisez, partageons,transmettons le livre de Vivian Petit: Retours sur une saison à Gaza qui vient de sortir aux éditions Scribest. (voir la page FaceBook).
Retrouvez ci-dessous la préface de Julien Salingue.
Geneviève NPA34
N'oublions pas Gaza !
À l’aube du 31 mai 2010, des navires de guerre israéliens arraisonnent, dans les eaux internationales, les navires de la première « Flottille de la Liberté » qui font route vers Gaza. L’assaut est d’une violence inouïe : plusieurs dizaines de passagers de la Flottille sont blessés, et neuf militants turcs sont tués à bord du Mavi Marmara. Selon les rapports d’autopsie, la plupart des victimes ont été tuées par des tirs à bout portant, au visage, dans la tempe ou à l’arrière de la nuque.
Des exécutions sommaires qui n’ont
jamais abouti à aucune condamnation – sinon verbale – de l’État
d’Israël, alors même que la Cour pénale internationale a reconnu
en novembre 2014, par la voix de la procureure Fatou Bensouda, « que l’on pouvait raisonnablement penser que
des crimes de guerre relevant de la compétence de la Cour
pénale internationale avaient été commis » à bord du
Mavi Marmara, tout en refusant de poursuivre Israël.
Au matin du 31 mai 2010, en
entendant les nouvelles à la radio, j’ai dans un premier temps
eu du mal à y croire. Avant de me résoudre à accepter la vérité.
Et de répéter alors, à voix haute, durant de longues minutes,
affalé dans un fauteuil, le regard dans le vide : « Ce n’est pas
possible, ils l’ont fait ». Quand l’incrédulité le dispute à la
colère, l’abattement à l’indignation, la tristesse à la rage.
Dans les heures et les jours qui
ont suivi, la vie de nombre d’entre nous s’est réorganisée
autour d’un seul objectif : gagner la bataille de la
communication. La machine de propagande israélienne s’était en
effet immédiatement mise en route, répétant à l’envi que les
commandos ayant mené l’assaut étaient en état de légitime
défense, et que les seuls coupables étaient les organisateurs et
les passagers de la Flottille.
Tandis que nous écrivions des
argumentaires, des articles et des tribunes, que nous diffusions
les témoignages écrits, audios et vidéos, des témoins de la
tuerie, que nous organisions des rassemblements et des
conférences de presse, que nous interpellions le Quai d’Orsay,
les inconditionnels d’Israël ne reculaient, en effet, devant
rien, remettant au goût du jour la célèbre formule selon
laquelle « plus c’est gros, mieux ça passe ».
Des rumeurs sur la présence d’armes
à bord des navires étaient lancées, photographies bidonnées à
l’appui. Le discrédit était jeté sur la Flottille, accusée de «
lien avec l’islam radical » ou avec des « groupes terroristes ».
Les « intellectuels » montaient au créneau, BHL qualifiant la
Flottille d’ « épopée misérable »,
Alain Finkielkraut expliquant que « le bain
de sang a[vait] été délibérément provoqué par les
organisateurs » et l’inénarrable Yann Moix forgeant le
concept de « terrorisme humanitaire ».
Écrire malgré, et contre, le blocus
Cet épisode demeure, pour nombre
des militants du mouvement de solidarité, un moment clé, voire
même fondateur. L’assaut sanglant contre la Flottille et la
propagande grossière qui s’en est suivie ont été perçus, à juste
titre, comme le signe de la détermination d’Israël à refuser
toute remise en question du blocus de Gaza et toute expression
visible d’une solidarité collective et militante avec la
population gazaouie.
Depuis lors, une variété
d’attitudes s’est exprimée en France, que l’on pourrait
regrouper en trois grands types : l’obstination, le
découragement, la recherche d’alternatives. L’obstination de
celles et ceux qui ont continué de tenter de rejoindre Gaza dans
le cadre de « missions » regroupant plusieurs dizaines, voire
centaines de personnes. Le découragement de celles et ceux qui
ont renoncé, par dépit ou par lassitude, à essayer de se rendre
à Gaza et qui ont reporté leurs efforts sur la Cisjordanie et
Jérusalem. Les alternatives, avec notamment l’envoi de petites
délégations via l’Égypte, ou les entrées « individuelles » à
Gaza.
Vivian Petit fait partie de ce
troisième groupe : celles et ceux qui ont décidé de se rendre
individuellement ou en petits groupes dans la bande de Gaza,
avec la particularité notable d’y être demeuré pendant un
période relativement longue. Les lecteurs et lectrices
découvriront dans la première partie de ce livre les raisons qui
l’ont conduit à se rendre dans cette « prison à ciel ouvert »,
ou plutôt les imagineront, tant elles semblent obscures pour
l’auteur lui-même.
En lisant l’ouvrage de Vivian, et
notamment les premières pages, j’ai eu l’impression d’être
renvoyé 15 ans en arrière, lorsque j’ai pris la décision, au
cours de l’année 2001, et alors que j’étais âgé de 21 ans, de
m’installer pour une durée indéterminée dans les territoires
palestiniens. Aujourd’hui encore, lorsque l’on me demande d’où
cette idée m’est venue, j’ai bien du mal à formuler une réponse,
car je crains que celle-ci ne soit une reconstruction a
posteriori, influencée par la place centrale qu’occupe
depuis, dans ma vie, la question palestinienne.
Mais finalement, peu importent les
raisons initiales, quand bien même elles auraient été
irrationnelles. Car c’est précisément l’absence de rationalité
qui est l’une des caractéristiques principales de la vie dans
les territoires palestiniens, a fortiori
à Gaza. L’enfermement, la précarité, l’absence de perspectives
politiques et la crainte permanente d’une nouvelle intervention
militaire d’ampleur venue d’Israël conditionnent la vie
quotidienne des Gazaouis. Il est d’autant plus difficile pour
l’observateur étranger d’essayer de la comprendre et d’en rendre
compte.
Gaza vit, mais Gaza souffre
L’une des forces du texte de Vivian
Petit est de se situer au carrefour entre le témoignage
personnel, la chronique de la vie quotidienne à Gaza et la mise
en perspective politique. Ni simple carnet de bord, ni texte
d’analyse déshumanisé, ni tentative présomptueuse de dresser un
« portrait » de Gaza et de ses habitants, le livre de Vivian
opère des allers retours entre la France et Gaza, entre
l’individuel et le collectif, entre la petite et la grande
histoire.
Et c’est tant mieux. Car on connaît
mal Gaza, avant tout considérée comme « la rebelle », « la
martyre », « le symbole » ou, dans d’autres cercles, « l’entité
hostile ». Or, au-delà de ces généralités et de ces
généralisations, Gaza est avant tout un territoire assiégé dans
lequel la vie, malgré tout, a continué jusqu’à présent de suivre
son chemin. « Une vie de moins », pour reprendre le titre d’une
chanson interprétée par le groupe Zebda et écrite par
l’historien Jean-Pierre Filiu, dans laquelle on manque à peu
près de tout, sinon d’imagination.
Yitzakh Rabin avait en son temps
déclaré qu’il rêvait de « voir Gaza sombrer dans la Méditerranée
». Voilà qui méritait bien un prix Nobel de la paix. Qu’on la
considère comme martyre ou rebelle (ou les deux à la fois), Gaza
est avant tout, comme on le verra dans ce livre, vivante, même
s’il ne s’agit pas ici de se payer de mots en versant dans une
vision romantique d’un peuple palestinien toujours debout et
toujours résistant. Gaza vit, mais Gaza souffre, et Gaza a
besoin d’aide. Car Israël n’en a pas fini avec Gaza.
On a tendance à oublier, en effet,
que la petite bande côtière est très majoritairement peuplée de
familles de réfugiés qui ont été expulsés de leur terre en
1947-49. Ce bout de terre, berceau de la première Intifada,
bastion de la résistance armée, est en réalité un miroir qui
renvoie l’image de la véritable nature et les contradictions
inhérentes au projet d’établissement d’un État juif en Palestine
: l’expulsion, la répression et l’enfermement, consubstantielles
à l’établissement et à la survie de l’État d’Israël, ne peuvent
faire disparaître un peuple et ses aspirations.
Le blocus, les opérations
militaires quotidiennes et les vagues de bombardements (2006,
2008-2009, 2012, 2014) sont en ce sens l’expression de la
nécessaire fuite en avant d’Israël face à ses contradictions :
Israël est né de la négation des droits du peuple palestinien et
ne peut dès lors survivre qu’en continuant de les nier, en ne
tolérant aucune forme de remise en question de sa mainmise
coloniale. À défaut de pouvoir faire disparaître Gaza, le blocus
est un moyen de couper Gaza du reste du monde, mais aussi de
couper le monde de Gaza, et d’accomplir, symboliquement, le
vieux rêve de Rabin.
Un peu de notre humanité qui disparaît
C’est pourquoi le livre de Vivian
Petit mérite d’être lu, et d’être largement diffusé. Il est en
effet, par son existence même, et a
fortiori par son contenu, un instrument de rupture du
blocus de Gaza : en donnant à voir ce qu’Israël ne veut pas que
le monde voit ; en rappelant les enjeux politiques, au-delà de
la tragédie humaine vécue par la population de la petite bande
côtière ; en convaincant que Gaza a besoin de notre soutien, et
que ce soutien n’a pas à avoir honte de s’exprimer, bien au
contraire.
À l’heure où ces lignes sont
écrites, l’attention se porte sur une autre ville devenue
symbole du martyr, Alep, depuis laquelle une population assiégée
et victime de bombardements massifs et indiscriminés appelle le
monde au secours. Certains s’indignent, d’autres condamnent, peu
agissent, beaucoup n’en ont cure. Sans même parler de ceux qui,
confondant l’anti-impérialisme et la pseudo-géopolitique
campiste à courte vue, tentent de trouver des excuses au régime
Assad et à ses alliés iraniens et russes. Une situation qui,
malgré les spécificités respectives des situations syrienne et
palestinienne, fait à bien des égards penser à la situation de
Gaza.
Alep mérite notre soutien, tout
comme Gaza mérite notre soutien. Parce que face au déséquilibre
des forces en présence, seule une mobilisation internationale,
qui ne doit en aucun cas se confondre avec un appel à une
intervention des armées responsables de la descente aux enfers
du Moyen-Orient, peut renverser un tant soit peu la vapeur.
Parce que c’est un peu de notre humanité qui est en train de
disparaître à mesure que des populations insoumises sont
réduites au silence par la généralisation de l’emploi des moyens
militaires les plus barbares. Parce que chacune de leurs
défaites est, aussi, notre propre défaite.
Quelques jours après le sanglant
assaut contre le camp de réfugiés de Jénine en avril 2002,
Daniel Bensaïd avertissait : « Que notre
dextre se dessèche et que notre langue colle à notre palais si
nous oublions Jénine ». Nous n’avons pas oublié Jénine.
N’oublions pas Gaza.
Julien Salingue.
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