Mayotte, Les Comores, de lointaines contrées dont les médias français ne parlent quasiment jamais. Jusqu'à ce que, il y a quelques semaines, des manifestations massives de mahorais se produisent pour protester contre "l'insécurité" qui serait liée à "l'invasion" de l'île par des comoriens. A cette occasion, comme des femmes comoriennes venaient accoucher à Mayotte, on a même vu des personnes réclamer et le gouvernement envisager une exception locale à la loi française de la "loi du sol" selon laquelle les enfants nés en France ont la nationalité française.
On peut se demander pourquoi l’État français tient tant à garder ce petit territoire. Le militant anti-impérialiste algérien vivant en France Saïd Bouamama donne son point de vue dans son blog de Médiapart :
JED
L’œuvre négative du colonialisme français à Mayotte : Un îlot de pauvreté dans un océan de misère
Saïd Bouamama
L’idée que le colonialisme est une
affaire du passé est fréquente dans le débat médiatique et politique.
Des polémiques peuvent surgir sur « l’œuvre positive » ou au contraire
sur le caractère de « crime contre l’humanité » de ce colonialisme mais
elles concernent des séquences historiques du passé. Le mouvement social
qui secoue Mayotte depuis plus de quatre semaines rappelle que le
colonialisme français est encore une réalité contemporaine.
Rappelons que sur les 17 « territoires non
autonomes » c’est-à-dire que les Nations-Unies considèrent comme devant
être décolonisés, deux (la Kanaky et la Polynésie) sont occupés par la
France. L’île de Mayotte pour sa part est considérée comme partie
intégrante des Comores par la résolution 3385 du 12 novembre 1975 de
l’assemblée générale des Nations Unies qui énonce : « la nécessité de
respecter l’unité et l’intégrité territoriale de l’archipel des Comores,
composé des îles d’Anjouan, de la grande-Comore, de Mayotte et de Mohél
». (1)
Le contexte historique : une île comorienne
Immobilisé par une opération chirurgicale,
j’ai pu au cours de ces dernières semaines suivre dans le détail la
couverture médiatique de la « crise de Mayotte » par les grands médias.
Le moins que l’on puisse dire c’est que nos journalistes, « spécialistes
» et chroniqueurs divers ne connaissent pas la première vigilance de
toute analyse objectivée : la contextualisation historique, économique
et géostratégique.
De manière générale le problème de Mayotte
est réduit à la question de « l’immigration clandestine » et de
l’insécurité qu’elle susciterait. Une telle construction politique et
médiatique du problème appelle logiquement une solution unique :
renforcer le contrôle des frontières et la chasse aux sans-papiers. Une
telle construction a en outre un effet de légitimation des politiques
répressives contre les sans-papiers et les réfugiés dans l’hexagone.
L’association entre immigration et
insécurité est, en effet, un des axes du discours du ministre de
l’intérieur. La situation à Mayotte est mise en scène comme un
avertissement alertant sur les dangers qui menaceraient l’hexagone si la
« fermeté » contre « l’immigration clandestine » cesse d’être l’axe
directeur de la politique migratoire française. Rappelons quelques
éléments des contextes sans lesquels aucune compréhension de la
situation n’est possible.
Sur le plan historique les quatre îles des
Comores deviennent un protectorat français en 1886 puis un territoire
d’outre-mer en 1946. A l’époque du colonialisme ascendant, personne ne
songe à séparer Mayotte des trois autres îles de l’archipel. Comme le
rappelle l’historien Alain Ruscio l’unité de l’archipel fait consensus.
En témoigne la définition donnée par le « Grand dictionnaire universel
du XIXème siècle » de Larousse : « Comores : groupe d’îles d’Afrique
(…). Les quatre grandes îles qu’il comprend sont Mayotte, Anjouan,
Mohéli et la Grande Comore ». (2)
La géographie, la langue, la religion, les mouvements de populations, etc., attestent de cette unité de l’archipel :
L’histoire, les
cultures et traditions, la langue et la religion sont quasiment les
mêmes d’une île à l’autre. La composition et le rapprochement des îles
sont aussi d’autres éléments renforçant le caractère unique des Comores.
Dès le début du XVIème siècle des habitants de la grande Comore se sont
installés à Mayotte lorsqu’ils fuyaient les portugais qui commençaient à
débarquer sur leur île. L’île qui, aujourd’hui, est rendue
artificiellement française n’est distancée d’Anjouan que de soixante
quinze kilomètres. Les habitants des quatre îles parlent tous la même
langue, le Shcomori, qui est divisé en quatre dialectes légèrement
différents […] à tel point que l’incompréhension totale entre eux est
pratiquement impossible. Hormis la petite minorité chrétienne de
Mayotte, la religion est également unique, l’islam sunnite et shaféïte.
Elle est par ailleurs considérée comme une vraie culture par tous les
Comoriens. (3)
En dépit de cette histoire et de ces
facteurs communs d’une part et des résolutions des Nations-Unies d’autre
part, l’Etat français orchestre la séparation de Mayotte du reste de
l’archipel en 1976. Alors que le référendum d’autodétermination du 22
décembre 1974 se prononce de manière massive pour l’indépendance de
l’archipel, l’Etat français décide unilatéralement de prendre en compte
les résultats île par île et non sur l’ensemble de l’archipel. Lors de
ce référendum d’autodétermination se sont 94.57 % des Comoriens qui se
prononcent pour l’indépendance. Seule l’île de Mayotte donne un résultat
divergent avec 63,22 % de voix contre l’indépendance. (4)
Malgré le positionnement des Nations-Unies
pour une prise en compte des résultats sur l’ensemble de l’archipel,
l’Etat français organise illégalement un référendum spécifique à Mayotte
le 8 février 1976 donnant une couverture pseudo-juridique à cet acte de
brigandage étatique. Le fait que 99.4 % des électeurs de Mayotte se
prononcent pour le maintien de l’île dans la république française est
pris comme justification pour justifier une balkanisation de l’archipel.
Une telle décision est une violation de la
loi française du 23 novembre 1974 qui énonce dans son article 5 « que
si le classement des résultats se fera île par île, la proclamation en
sera globale ». (5) Elle est également une violation du droit
international conduisant les Nations-Unies à condamner l’organisation
des référendums du 8 février et du 11 avril 1976. (6)
La résolution 31/4 de l’assemblée générale des Nations Unies du 21 octobre 1976 ne souffre d’aucune ambiguïté :
Cette résolution qui est adoptée par 102
voix contre une seule (celle de la France) et 28 abstentions sera
régulièrement réaffirmée par de nombreuses autres résolutions des
Nations-Unies. (8) Quant aux conditions du scrutin faisant passer en
deux ans le nombre d’électeurs de Mayotte opposés à l’indépendance de
63.22 % en 1974 à 99.4 % deux ans après, voici ce qu’en dit le journal
réunionnais « Témoignages » du 10 février 1976 :
Depuis longtemps le gouvernement français
préparait son « référendum » de mascarade sur le territoire comorien de
l’île de Mayotte. Dimanche dernier, à force de fraudes et de trucages,
tout s’est achevé comme un grand carnaval. Une grosse plaisanterie de
mauvais goût. Olivier Stirn voulait qu’une majorité de Comoriens à
Mayotte se prononce pour le rattachement à la France. Il y a eu ce qu’il
méritait. Une majorité introuvable, vraiment préfabriquée, trop beau
pour être vrai : 99.4 % des habitants de Mayotte déclarent qu’ils
choisissent la domination du colonialisme français au lieu de
l’indépendance avec leurs concitoyens. Ils n’étaient que 64% en décembre
1974.
(.../...)
Le choix colonial français de 1975 débouche
ainsi sur un monstre institutionnel ne pouvant que générer des crises à
répétition. Le mouvement social de cette année n’est qu’une nouvelle
conséquence du colonialisme français contemporain. Le déblocage de
nouvelles subventions peuvent certes suspendre la crise mais en aucun
cas en éradiquer les causes. Sans disparition de la situation coloniale
les conséquences perdureront.
Condamnée plus de vingt fois par l’ONU pour
son occupation de Mayotte, l’Etat français l’est également pour son
refus de décoloniser la Polynésie française. A Mayotte comme en
Polynésie ou en Kanaky le colonialisme reste une œuvre structurellement
négative. Il n’est pas inutile de le rappeler à une époque où certains
osent encore évoquer une « œuvre positive de la colonisation ».
refoulement de manifestation à Mayotte |
* Le site "insoumis" Le Vent Se Lève, pourtant peu suspect de lutte contre le colonialisme français, s'insurge sur le fait que les mahorais ne sont pas considérés comme des français à part entière : Mayotte, un petit coin de tiers-monde en France ?
* Courrier International pointe la responsabilité de la France dans la crise : Vu des Comores. Crise à Mayotte : "S'il n'y avait pas la présence illégale de la France"
* Pour Alain Naze, le gouvernement a mis de l'huile sur le feu : Le gouvernement joue les "pousse au crime" à Mayotte
* Un peu d'histoire avec l'historien Alain Russio : Un ensemble géographique ancien - Comores, Mayotte, néo-colonialisme français : petit cours d'histoire récente
* Un mini-dossier publié sur la revue l'Anticapitaliste de mai 2016 : Mayotte, une longue histoire entre coups d'états, révoltes et grèves