À la Une...

Être parents délégués sous Covid-19



Rouvrir les écoles à partir du 11 mai correspondait, de la part du gouvernement, à la volonté de remettre les parents au boulot (pour faire tourner la machine à profits). Sans tenir compte de la situation sanitaire ni des capacités de l'institution à assumer un tel choix. Et en prétextant avec cynisme qu'il s'agissait de mettre ainsi un terme au décrochage scolaire. La situation actuelle démontre évidemment que c'est l'inverse qui s'est produit, au détriment des enfants des familles les plus défavorisées.
Voici le témoignage d'Alban, parent délégué dans la maternelle d'un petit village du centre-Hérault.



     Je suis parent délégué dans une école maternelle d’un village de 6000 habitants, dans le cœur d’Hérault, près de Montpellier. Notre liste est sans étiquette. En tant qu’élus, nous assistons aux conseils d’écoles. Cette pandémie que nous vivons tous, est une situation exceptionnelle qui permet de mettre en lumière le rôle des entités qui y siègent, à savoir : l’état représenté par l’inspection académique, l’équipe pédagogique, la municipalité et nous les représentants de parents d’élèves.

     Ce texte donne à lire une situation locale, mise en perspective dans le contexte de politiques nationale et locale.

Urgence et précipitation
     A la mi-mars, le chef de l’état annonce la fermeture des écoles. Ni une ni deux, tout le monde est à la maison en quarantaine. Nous n’avons pas le temps de nous retourner, pas un mail, pas un coup de fil entre nous, rien. Un mois plus tard, le conseil scientifique a tout juste eu le temps de préconiser la réouverture des écoles en septembre, que la date du 11 Mai est annoncée dans les médias. C’est à ce moment précis, que notre fonction d’élu resurgit, comme une nécessité collective.

     Le premier mail arrive, on se demande ce qu’il se passe. Il y a 1 mois et demi, les écoles étaient les premiers établissements à fermer parce que « les enfants étaient des porteurs sains ». Aujourd’hui, on les ouvre en premier tandis que les collèges et lycées vont rester fermés. Le désordre est grand dans les esprits des parents, même celles et ceux d’entre nous qui ne sont pas politiséEs, se questionnent sur la confiance pour un gouvernement qui dit une chose un jour et son contraire le lendemain. Sans le dire explicitement, la gestion de la crise est pointée du doigt.

     A quelques jours de la réouverture, on attend tous, la désormais fameuse circulaire de l’Education Nationale. Nous voulons connaître les règles sanitaires à suivre pour réouvrir les écoles de la commune, mais elles tardent à venir. Sur le plan local, c’est la désorganisation la plus complète, il n’est pas possible de se positionner. La mairie ne peut rien faire non plus, on réfléchit au plan b sans même connaître la version officielle. La période de confinement empêche la communication avec les enseignants. Il est difficile de prendre un peu de hauteur tant le recul est impossible.

     Cette situation est clairement la conséquence de la méthode du gouvernement. On la connaît bien, puisque nous l’avions déjà vécu à leur arrivée au pouvoir. A cette époque, les conseils d’écoles avaient dû, en un temps record, décider si la semaine d’école devait être de 4 jours ou 4 jours et demi. Bien évidemment, sans subvention pour financer les activités extra scolaires, les mairies ne pouvaient pas, en quelques jours, débloquer un tel budget.

Quelles conditions pour une réouverture ?

     Face à cette accélération de la reprise scolaire, la mairie organise une visite des trois groupes scolaires pour évaluer la faisabilité de l’application du protocole sanitaire que nous n’avons toujours pas. L’ajointe aux écoles ne vient pas car elle a peur de contracter le virus. Le maire vient sans s’attarder pour nous dire bonjour et repart sur autre réunion qui semble plus importante. Les chefs de services municipaux sont un peu désemparés que leurs élus ne soient pas plus au front. Nous, en tant qu’élus, nous le déplorons fortement. Dans la matinée, les trois groupes scolaires sont visités et le résultat est sans appel : à la maternelle, les enseignants présents disent clairement qu’ils ne pourront pas faire respecter la distanciation sociale, une classe est trop petite, les dortoirs aussi. Sur les groupes élémentaires, ils manquent cruellement de sanitaires et de personnel pour accompagner les enfants pour se laver les mains. Par ailleurs, les acteurs de l’éducation populaire ne peuvent pas avoir un rôle car le service périscolaire de la mairie n’a ni le personnel nécessaire, ni les locaux (ils accueillent dans les écoles) ; les associations, quant à elles, n’ont pas ou peu de subventions depuis toujours. Ces trois écoles ont tellement de classes, qu’il va falloir faire un accueil échelonné, cela va prendre du temps, comment feront les parents qui doivent aller au travail ?

     Cette situation exceptionnelle à l’intérêt de mettre en avant que nos écoles ne sont plus adaptées à accueillir des enfants en si grand nombre. Elles ont trop peu de classes, les sanitaires ne sont pas assez nombreux, la cour de l’une d’entre elles est trop petite. Nous commençons à remettre en cause les choix politiques des dernières décennies et ceux à venir. En effet, la maternelle n’a pas été rénovée depuis peut-être 30 ans, elle doit passer de 8 à 13 classes et les deux groupes de l’élémentaire seront regroupés en un seul site de 19 classes, soit plus de 500 élèves. Dans une période qui démontre le besoin de faire la classe en petit groupe, comment sera-t-il envisageable de créer des écoles allant à l’encontre de ces précautions devenues si basiques ? Comment mettre en œuvre une complémentarité éducative avec des animateurs sans locaux dédiés ? Comment les associations locales vont-elles pouvoir avoir un rôle sans un budget spécifique ? Tant de questions qui vont devoir être posées pendant la campagne du second tour des élections municipales.

Parents délégués : un rôle politique ?

     Pour finir, notre pratique à nous, de parents délégués, doit aussi être soumise à critique. Nous avons fait le choix de n’être ni politiséEs, ni syndiquéEs. La raison est qu’à la période de notre élection, il y a 4 ans, le contexte politique local, conjoint à l’atmosphère interne à l’école maternelle étaient suffisamment lourds pour ne pas afficher une tendance. Nous avions fait le choix d’être force de proposition aux problèmes existants. Au final, nous nous sommes focaliséEs sur le bien-être des enfants dans leur scolarité.  Pendant un temps, notre travail a été fédérateur et d’un certain point de vue, il l’est encore. Néanmoins, nous n’avons jamais pris le temps de construire un mode de fonctionnement collectif. Avec pour objectif de se concentrer sur le bien-être des enfants et sans mode de fonctionnement collectif, nous laissons passer les enjeux locaux et nationaux les uns après les autres. Nous n’avons pas la capacité structurelle à analyser le contexte dans lequel l’école s’inscrit. Des élections municipales ont lieu sur notre commune et nous n’y prenons pas part, alors que les sujets ne manquent pas. Il suffit de lire les comptes rendus des conseils d’écoles pour s’en rendre compte. La semaine à 4 jours en est un autre exemple. Nous étions partis en ordre dispersé, il nous avait été impossible de formuler un discours commun. Il nous manquait cruellement un mode de fonctionnement établi avec des règles décidées par tous. Notre groupe n’aura pas profité de l’occasion pour se structurer en pensant que ce genre de situation ne se représenterait pas. Il faut aussi dire, que, parmi les parents délégués, beaucoup sont novices dans le travail collectif bénévole. Il est nécessaire de prendre le temps pour créer de l’expérience individuelle et collective.

     Cette pandémie mondiale qui oblige l’état à fermer les écoles nous aura permis de passer un cap. Fort de l’expérience de la réforme de la semaine à 4 jours, les parents délégués des écoles maternelle et élémentaire ont cette fois-ci, décidé de s’unir. A deux listes qui ont leurs propres règles, nous devons nous accorder sur un fonctionnement commun. Les échanges entre nous se multiplient, on s’organise par téléphone puis, en réunion via zoom, il n’y avait jamais eu autant de participants. Dans un contexte de politique national aussi prégnant pour tous, les prises de hauteurs de certains d’entre nous font, pour la première fois, avancer le groupe vers une analyse critique. On prend alors conscience que les écoles vont réouvrir pour que les parents (nous), puissions retourner au travail, la santé de nos enfants passe au second plan.  Nous nous donnons le droit d’endosser collectivement le rôle de citoyenNEs engagéEs. Nous y gagnons en efficacité. Nous interpellons le député de notre circonscription qui appartient au groupe parlementaire de la majorité ainsi que notre maire pour leur exposer notre point de vue avec argumentaire à l’appui. Ces deux personnes politiques expriment clairement leurs intérêts pour notre démarche. Notre groupe conscientise alors ce rôle qui vient de se dessiner.
Reprendre nos écoles en main

     Le 19 mai a lieu un conseil d’école exceptionnel qui regroupe la maternelle et l’élémentaire. Nous le préparons en commun, nous souhaitons porter la voix de tous les parents en créant un questionnaire que nous diffusons et analysons collectivement. D’une seule voix, nous présentons ces résultats lors du conseil et osons porter des valeurs et des positionnements inédits jusqu’alors. Ils ont un écho dans l’assemblée allant du directeur d’école au maire de la commune. Nous avançons deux problématiques principales. La première est qu’une partie des familles (30%) expriment une difficulté à faire l’école à la maison (accès difficile à du matériel informatique, relation difficile avec son enfant dans les apprentissages ou encore, la répartition des tâches entre école et télétravail). L’école ne peut pas créer des inégalités et/ou accentuer la fracture numérique, le conseil va devoir trouver une solution. La deuxième provient du protocole de réouverture que nous avions proposé au Directeur académique des services de l'Éducation nationale. Nous l’avons conçu de concert avec la mairie et les équipes enseignantes. Nous préconisions un service d’accueil ouvert aux familles dont les parents travaillent bien sûr, mais aussi pour celles qui ont connu des difficultés sociales liées, entre autres, au confinement. L’Education Nationale ne l’a pas validé en l’état, elle a imposé la réouverture de l’école en remplaçant le caractère social par le décrochage scolaire. Aux vues de la nouvelle capacité d’accueil lié au protocole sanitaire et au locaux, l’école maternelle peut aujourd’hui accueillir 10% des élèves inscrits et 25% pour l’élémentaire. Nous interpellons vivement le conseil d’école sur le danger de la situation, l’école de la république doit pouvoir accueillir tous les enfants qui le désirent. Or, cela ne pourra pas être le cas jusqu’aux vacances d’été, et nous ne connaissons pas encore le contexte qui s’imposera à nous en septembre. Par ailleurs, lors de sa dernière allocution, le Président de la République a posé que l’école se réinvente, qu’elle aura 4 facettes : en classe avec un enseignant pour 15 élèves, en distanciel, les examens auront lieu dans les lieux écoles supervisés par des surveillants et accueillis par des animateurs. Pour rappel sur cette dernière facette, l’ex ministère de la Jeunesse et des Sports fait aujourd’hui partie intégrante du ministère de l’Education Nationale. Cette situation ne peut décemment pas satisfaire la communauté éducative locale car, ce qui va accueillir les enfants, quel que soit le nom qu’il faut lui donner, ne ressemble en rien à l’école. Les équipes enseignantes acquiescent en stipulant que les directives reçues demandent à faire faire des révisions aux enfants, que la fin du programme est reportée à septembre prochain.

     Ce contexte impose au conseil d’école de décider quelles familles auront accès au lieu école. Comment est-il possible de laisser cette forme de responsabilité aux conseils d’écoles ? Même si les conséquences n’étaient pas identiques, les soignants ont, eux aussi, dû faire le choix entre leurs usagers pour l’accès aux soins. Nous concluons l’échange en avançant qu’aujourd’hui, l’Education Nationale est menacée et qu’il faut faire un courrier collectif au DASEN. Nous voulons souligner que les choix du gouvernement nous mettent dans une impasse. Sans espoir collégial sur un retour de cette institution, le maire accepte de le signer.
Alban TREMEGES


Consultez les articles par rubrique


CORONAVIRUS

LUTTES SOCIALES
FÉMINISME
ANTIRACISME ANTIFASCISME
>


SOLIDARITÉ MIGRANTS
ÉCOLOGIE
JEUNESSE ENSEIGNEMENT


POLITIQUE LOCALE
DÉBATS
POLITIQUE NATIONALE


INTERNATIONAL
RÉPRESSION
NPA