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Politique sanitaire, politique sécuritaire... Ça rime à quoi ?


"Nous assistons à une résurgence de la délinquance sanitaire"

Par la juriste Stéphanie Renard, spécialiste de l’ordre public sanitaire. Extrait de l'entrevue «Cette crise menace l’égalité et interroge sur la solidarité» (accès réservé aux abonné.e.s de Mediapart).

Enfermement, par Eneko, Público, 23 03 20. (1)

Concrètement, dans cette crise, l’État a privilégié une approche disciplinaire et policière de l’épidémie, sans se voir imposer d’obligation positive de protection de la population. La contrainte et la responsabilité pèsent principalement sur les individus. Ils sont les vecteurs de transmission de la maladie et c’est leur comportement qui est mis en cause. 

[…]  

Nous sommes dans une logique de surenchère sécuritaire. En guise de lutte contre l’épidémie, nous n’avons qu’une seule mesure phare : le confinement. Cela renforce l’idée que c’est la population qui est responsable de l’évolution de l’épidémie. D’autant plus que la loi d’urgence sanitaire et le décret de confinement prévoient des sanctions fortes allant jusqu’à l’incarcération en cas de réitération de non-respect du confinement. Nous assistons ainsi à une résurgence de la délinquance sanitaire. L’ennemi, c’est le non-observant des règles de distanciation sociale.

Il doit y avoir un équilibre entre discipline et protection et une proportionnalité dans les mesures prises. Certes, il y a un risque pour la vie de chacun. Mais pour le reste, les règles de l’État de droit demeurent. La protection de la santé n’est pas une fin en soi ; elle ne justifie pas tout.

Ce que je trouve abominable, c’est que l’on se résigne facilement à beaucoup de choses, comme l’enfermement des personnes âgées, l’isolement des malades ou la priorisation des soins. L’État a très tôt déverrouillé les possibilités d’usage de produits de sédation profonde afin d’accompagner la fin de vie des malades ne pouvant accéder à la réanimation. Ça a tout de même un sens.

Et l’on se résigne déjà pour l’avenir. On nous prévient par exemple que la relance de l’économie imposera des « efforts » aux travailleurs, qui devront renoncer à certains acquis sociaux.

Cette crise n’oppose pas seulement la sécurité à la liberté. Elle menace aussi l’égalité et interroge sur la solidarité. 

[…]  

En réclamant davantage de protection, en demandant toujours plus à l’État en termes de sécurité, nous avons aussi diminué notre liberté. Avec cette épidémie, on perçoit le risque d’un retour à une forme d’hygiénisme, avec une forme de culpabilisation des individus et des mesures créatrices d’inégalités, pesant lourdement sur les plus vulnérables et les plus défavorisés. 

[…] 

J’ai l’impression que ce qui se passe est une sorte d’apothéose de ce qui s’est construit depuis quelques dizaines d’années.

Cette évolution reflète l’importance prise par des droits « de sécurité » qui se sont affirmés comme droits fondamentaux depuis les années 1990 : droit à la protection de la vie, droit à la protection de l’intégrité physique, droit à la protection de la santé, etc. Leur caractéristique est qu’ils ne se déclinent pas seulement en termes de liberté mais conduisent aussi à des obligations positives de protection qui peuvent être imposées aux individus. Cela induit une sorte de paternalisme d’État.

Le discours du gouvernement est symptomatique de cette évolution. Les mesures prises ont été justifiées par la nécessité de protéger la santé des personnes les plus vulnérables (personnes âgées ou de santé fragile). Ont-elles été réellement protégées ? Et jusqu’où peut-on contraindre la liberté pour cette protection ? La santé est-elle un impératif supérieur à la liberté comme le laisse entendre la présidente de la Commission européenne ? Nous sommes progressivement passés d’un impératif de défense sanitaire de la collectivité à la recherche de la sécurité pour la santé de chacun. Et cet objectif semble suffire à justifier d’importantes restrictions de liberté, y compris pour protéger les personnes contre elles-mêmes.

Il faut réfléchir sur le lien entre ordre public et droits fondamentaux et s’interroger sur les rapports entre liberté et sécurité sanitaire.

(1) Reprise pour illustration par NPA 34

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