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Notre nourriture? Le travail paysan !


 Le 17 décembre, le Comité de Soutien au Nouveau Front Populaire du Pic St-Loup organisait sa 2ème conférence-débat (la précédente: http://npaherault.blogspot.com/2024/11/syndicalistes-enseignantes-et-tri-social.html), cette fois sur le thème de l'agriculture et du travail paysan.
Ci-dessous, la vidéo de cette soirée:


Et voici le compte-rendu écrit:

Un regard humain sur une profonde crise agricole due au capitalisme

Après une introduction du comité Saint Loup de soutien au Nouveau Front Populaire (NFP) par Claude Dubois, nous avons eu le plaisir d’accueillir deux paysans et responsables syndicaux : Frédéric Mazères, éleveur de brebis, syndicat MODEF, habitant à Coste, Gard, et Jean Luc Saumade, viticulteur, Confédération Paysanne, habitant à Saint Mathieu de Tréviers, Hérault.

A eux deux, ils représentent les deux piliers de l'agriculture dans notre secteur des Garrigues, la viticulture et l’élevage ovin. Au travers de leurs témoignages personnels, ils nous ont indiqué les causes de la dégradation de notre agriculture et les remèdes qu’ils entrevoient.

1. Une concentration dans l’agriculture et diminution massive du nombre de paysans depuis 30 ans. Les conférenciers décrivent un monde agricole autrefois basé sur des pratiques équilibrées, aujourd’hui ébranlé par une course à l’agrandissement des exploitations, à la monoculture, à la productivité, et une diminution massive du nombre de paysans.

Jean Luc : « Auparavant, dans cette riche plaine alluviale et limonaise du Gard, les paysans étaient polyvalents, viticulteurs, arboriculteurs, faisaient un peu de maraîchage, ce qui leur permettait de gagner correctement leur vie. Et tout ça s'est cassé la figure. iI n'y a plus rien, c'est un désert. Le dernier gros maraîcher de plein champ qui faisait des carottes, des pommes de terre, est décédé. Après lui, personne n’a repris, ça a été fini. Quand on prend la route d'Alès à Nîmes, il n'y a plus rien : plus de vignes, plus de pêchés, plus de champs. Voilà, en 40 ans de politique de la FNSEA et la PAC (Europe), on en est arrivé là ! ».

Frédéric : « Cela s'est effondré en 25-30 ans, depuis les années 80, avec la diminution du prix du vin. Il y a eu une concentration des terres. Les propriétés viticoles se sont agrandies. On a multiplié par 3 la surface agricole pour pouvoir vivre. Je me rappelle quand j'ai commencé à bosser, dans la fin des années 80, un viticulteur au Pic Saint-Loup avait 5-6 hectares de vignes. Quand il avait 10 hectares, il avait un ouvrier. Et là, maintenant, un viticulteur tout seul ne peut pas sortir un revenu s'il a moins de 15-20 hectares. Comme la terre n'est pas extensible, ce sont les gros qui se sont agrandis, et les petits qui ont disparu. Dans les caves coopératives, le nombre de coopérateurs a diminué. La cave coopérative viticole de Saint-Mathieu faisait 60000 hectolitres avec 500-600 coopérateurs. Maintenant ils sont moins de 20 ».

« Une des causes premières du grand dérapage de l'agriculture qu'on vit depuis une trentaine d'années est le décalage entre le temps long agricole et le temps court des mandats des décideurs politiques. Quand je monte mon troupeau, j'ai une vision à 25-30 ans dans le choix des bêtes, dans le choix des parcours, dans le choix technique. Un viticulteur plante une vigne pour au minimum de 40-50 ans. On ne peut pas faire ça en 5-6 ans, qui sont la durée des mandats électoraux des décideurs politiques ».

2. « Le réchauffement climatique nous met par terre, c’est la double peine ». « Nous, sur le terrain, on le vit ce réchauffement climatique. Ce n'est pas une invention ! On est touché de plein fouet. C'est évident ! »

Frédéric et Jean Luc évoquent les effets dévastateurs du changement climatique sur leurs animaux et leurs vignes. Les canicules successives et les sécheresses rendent l’élevage de plus en plus difficile. Leurs témoignages traduisent un sentiment d’impuissance face à des bouleversements qui échappent au contrôle des agriculteurs.

Fredéric : « Alors, il nous tombe une tuile, c'est le réchauffement climatique. En 2003, je vinifiais en cave particulière. On s'est pris une canicule pas possible en 2003, et puis juste après des inondations centenaires. Donc, quand on s'installe à ce moment-là, il faut avoir le moral, je peux vous le dire. A partir de 2003, j'ai constaté beaucoup de changements, j'ai senti un décalage. Les plantes n’accumulaient pas les mêmes réserves, devenaient plus sensibles aux maladies qui avant étaient aussi moins agressives. Ça ne s'est pas fait du jour au lendemain, mais 2003, c'est le marqueur, c'est la canicule. Et puis, quelques années très chaudes encore derrière.

Depuis 2013, on voit sur le terrain que le réchauffement s'accélère. Je suis un berger qui pratique la transhumance. Une brebis ne peut pas en même temps produire la grande quantité d’énergie pour la rumination et lutter contre la chaleur. Elle se laisse mourir de faim parce qu'il fait trop chaud. On est obligé de trouver des solutions pour les monter quand même en estive, pour arriver à un endroit où les nuits soient plus fraîches, où elles puissent manger. Je ne monte plus certaines bêtes en estive, des brebis soit trop âgées, soit qui ont mis bas un peu tard. Je les garde chez moi à Corbes.

Ce qui me terrifie, c'est que dans les pouvoirs publics et les chroniqueurs qui dominent les médias, il y a une petite musique qui monte, qui monte en disant que le changement climatique, c'est peut-être une invention des écolos … Mais nous, sur le terrain, on le vit ce réchauffement climatique. Ce n'est pas une invention ! On est touché de plein fouet. C'est évident ! ».

Jean Luc : « ce réchauffement nous met par terre, c’est la double peine. Avec le réchauffement, le manque d’eau, la vigne a moins de facilité à lutter contre les maladies. Et les viticulteurs sont incités à utiliser deux fois plus de produits phytosanitaires, de pesticides. Ils sont touchés dans leur travail, mais aussi dans leur vie de tous les jours sur le plan sanitaire aussi parce qu'ils utilisent des produits qui les rendent malades. Avec tous les risques pour l’environnement, les consommateurs. Un cycle sans fin… »

3. Le syndicalisme agricole, les chambres d’agriculture , la SAFER, sont dévoyés, à la solde de l’agro-industrie.

Nos deux conférenciers critiquent la FNSEA (syndicat agricole majoritaire) pour son rôle dans la promotion de l’agriculture industrielle et des pratiques destructrices. Il appelle à une réforme du système syndical et des institutions agricoles, notamment des chambres d’agriculture, pour mieux représenter les intérêts des petits exploitants.

Fredéric : « Pourquoi mon engagement au MODEF ? Dans le Gard, surtout le nord, les Cévennes et le Piémont, les deux syndicats les plus présents sont la Confédération Paysanne et le MODEF. Il y a un peu une tradition, parce que le MODEF au départ, c'est un syndicat qui a été monté par le Parti Communiste à la fin des années 50, suite à une scission de la FNSEA. Le MODEF a eu beaucoup de puissance, notamment autour des événements viticoles des années 60-70.

A la fin des années 70, la Confédération Paysanne a été créée avec les événements du Larzac, quand il y a eu le camp du Larzac. A ce moment, il y a eu beaucoup de paysans, surtout des jeunes, qui se sont surtout intéressés à ce regain idéologique et un petit peu révolutionnaire que proposait la Confédération Paysanne.

Ce qu'on appelait avant le Midi Rouge, c'était les viticulteurs en cave coopérative qui appartenaient à 50-60% au Parti Communiste ».

Des chambres d’agriculture verrouillées par la FNSEA, syndicat du lobby agro-alimentaire

Frédéric : « C'est verrouillé de chez verrouillé. Donc une des premières choses à faire si la gauche arrive au pouvoir, c'est de foutre un coup de pied dans cette fourmilière immédiatement. C'est le premier truc à faire ».

« Le système des élections pour les chambres d’agriculture, c'est 50 % des postes donnés à la liste qui arrive en tête. D'entrée. 50 % des sièges. Et sur les 50 % qui restent, c'est à la proportionnelle. Donc ça veut dire que le mec qui fait 52-53 % des voix, il se retrouve avec 80 % des sièges. Non seulement ça, il y a des sièges dans la chambre d’agriculture qui sont réservés à des collèges coopératifs. Et c'est des collèges où les électeurs, les listes électorales, ne sont faites que de gens de la FNSEA. Il faut changer tout cela pour mieux représenter les petits paysans ».

Les SAFER (Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural) sont devenues des agences immobilières dirigées par quelques familles

Frédéric et Jean Luc : «  Un outil qui a été extraordinaire pour organiser une politique agricole, c'est la SAFER. Sauf que pour que la SAFER reste un outil au service de tous, il faut que son financement soit fait par tous.

Or, la SAFER, son financement, il a été complètement supprimé. Je crois que c'est sous Hollande que le financement public a été quasiment supprimé.

Et on a dit à la SAFER, vous vous financerez sur les ventes que vous occasionnez. Vous prenez 10% sur les ventes et c'est ce qui fera le fonctionnement de la SAFER. Donc du coup, la SAFER n'est plus du tout un outil public. C'est devenu une agence immobilière.

A mon avis, il faut repenser le fonctionnement démocratique de la SAFER, revoir la façon dont les gens sont élus. Parce nous dans le Gard, tous les présidents de la SAFER proviennent d’une même famille depuis 4 générations ! »


4. Les revenus que le paysan tire de ses ventes ne suffisent pas à couvrir ses charges, le poussant à dépendre des aides de la Politique Agricole Commune (PAC). Il faut des prix planchers !

Jean Luc et Fred soulignent le problème majeur : la déconnexion croissante entre le prix des produits agricoles et leur véritable coût de production. C’est une non-reconnaissance de l’importance et dignité du travail des paysan,s les plaçant en position d’assistés, avec des critères d’obtention des aides qui les obligent à investir, à s’endetter. Et ils se retrouvent progressivement étranglés.

Frédéric : «  La solution, à mon avis, elle est politique, c'est de faire en sorte que les agriculteurs aient un revenu pour qu’ils puissent manger, faire manger leurs familles, investir, se protéger, protéger leurs proches. Ces grandes promesses de la FNSEA pendant 30 ans qui a toujours dit que l'absence de revenu peut être compensée par des aides publiques, ça ne tient pas du tout.

Parce qu'on ne peut pas avoir de reconnaissance, on ne peut pas avoir une vision sur le long terme quand on est tributaire de responsables politiques qui peuvent changer à tout moment.

Quand on a un revenu, on construit sa clientèle, on construit sa production, on a une vision à long terme

Pour moi, la base de tout, c'est qu'il faut militer le plus qu'on peut pour que les paysans retrouvent la capacité d'avoir un revenu ».

Jean Luc : « Je suis viticulteur, c'est une reconversion et ma onzième vendange. Avant, je faisais tout autre chose. Mais une longue tradition familiale m'a ramené à la viticulture.

Si je n'ai pas le recul de Frédéric, en 11 ans on voit beaucoup de choses qui ont changé. La question centrale du revenu est reliée à un problème plus global, sociopolitique, lié à notre nécessaire alimentation. Parce que si on ne s'alimente pas, on meurt. Et cette alimentation, elle est produite par des agriculteurs.

C'est préférable d'employer le terme de paysan, parce qu’il nous rapproche de la terre, du pays, et il donne du corps et du sens à cette relation entre celui qui fait pousser le truc à manger et celui qui est content de pouvoir en acheter pour manger.

Et ce lien simple qui est une évidence, il s'est dilué dans un jargon technocratique largement promu par une collusion du syndicat majoritaire, des gouvernements successifs et des grands distributeurs. Ce qui fait que maintenant, on arrive à sortir des conneries comme « agri-machines » et tout ça, parce qu'il faut jargonner en anglais, aussi.

On a perdu le sens. Et nous, tout le travail qu'on cherche à faire avec nos syndicats respectifs, c'est de remettre du sens là-dedans.

Les paysans, ils travaillent la terre, ils travaillent avec des animaux, et tout ça, c'est dans le projet de vendre des produits alimentaires aux autres.

Ça devrait suffire à faire comprendre que, comme on travaille pour cette production, quand on la vend, il faut rémunérer le travail qu'on a fait. C'est d’une simplicité totale.

Or, c'est complètement remis en question par tout ce système agro-industriel qui a été mis en place, où ce qui est important, c'est produire de la matière première pour des industriels qui, eux, négocient les prix avec les distributeurs. Et la référence de valeur est alignée sur le marché mondial des matières premières. Alors là-dessus, il n'y a plus de paysans, effectivement ».

Des prix plancher ou prix de référence pour garantir un revenu équitable aux paysans et une alimentation de qualité

Frédéric : « Le prix, historiquement, a toujours été un problème pour les agriculteurs. Et la meilleure réponse qu'on y a apporté a été à chaque fois l'intervention de l'État. C'est-à-dire que l'État dit qu'on ne pourra pas acheter cette denrée en dessous du prix que l'État a décidé. Chaque fois que ça a marché, le paysan a eu un revenu. Je ne vois pas d'autre solution que celle-là.

C'est ce qu'on appelle les prix planchers ou prix de référence.

Et ces prix, il faut qu'ils soient fixés par interprofession ou par bassin. Et qu'ils soient garantis par l'État que dans chaque bassin de production, le préfet signe un arrêté en disant « Dans le bassin de production Pic-Saint-Loup, le prix du vin ne peut pas descendre en dessous de, je ne sais pas, 150-250 €/hectolitre.

Je ne vois pas d'autre solution politique en tout cas. Parce que s'en remettre uniquement au marché, ce n'est pas possible. Il y a trop d'aléas en agriculture, il y a trop d'imprévus, il y a trop de petites récoltes, de grosses récoltes, des catastrophes climatiques.

De toute façon, je suis contre le fait de mettre quelque chose d'aussi important que l’alimentation, au même titre que l'eau, dans les mains du marché. Pour moi, c'est complètement inconcevable ».


5. Sécurité sociale de l’alimentation, Programme Alimentaire Territorial

Frédéric et Jean Luc : « Un des moyens de sortir les paysans de la marchandisation - je sais que c'est un débat difficile entre la Confédération de Paysans et la société - c'est la sécurité sociale de l'alimentation.

La sécurité sociale de l'alimentation, c'est une prise de pouvoir partielle sur l'alimentation avec la création d'un système de l'alimentation, comme le système de sécurité sociale de la santé qui a permis de créer les CHU, les hôpitaux, la médecine, celui qu'on utilise tous les jours avec notre carte médicale.

La sécurité sociale de l'alimentation, ça peut démarrer quand on démarre à 150 euros par personne et par mois. Ca fait 120 milliards par an et 120 milliards, c'est quelque chose qui aura du poids face au lobby agro-alimentaire.

Où en est le syndicat MODEF vis-à-vis de la sécurité sociale de l’alimentation ? On y réfléchit. En fait, ce sont les modalités de mise en oeuvre qui nous interrogent beaucoup.

Il faut introduire dans cet outil-là un lien entre le citoyen et le paysan pour que ça devienne vraiment un outil d'aménagement au service de l'agriculture qu'il nous faut.

Il y a aussi la question des volumes, parce qu'on est de plus en plus nombreux sur Terre.

En pratique, quand on parle de petits volumes, c'est plus facile de créer des structures avec une décision mutuelle de ce que doit être l'alimentation, l'agriculture, etc.,

Je me suis intéressé au PAT, le Programme Alimentaire Territorial, qu'on a monté sur l'agglomération d'Alès. Dès qu'on arrive sur des gros volumes, c'est tout un chantier. il y a tout un travail de recensement. Quand on s'intéresse au PAT et qu'on met les citoyens en relation avec les paysans, on découvre du foncier disponible, qu'on n'imaginait pas jusque-là.

Je pense que les PAT, c'était une bonne idée. Ils n'en ont pas eu beaucoup, des bonnes idées, mais là, je pense que c'était une bonne idée. D'autant qu'en plus, il y a eu quand même des financements derrière.

Et il faut continuer à le travailler. D'autant que les associations sont conviées, en règle générale, à travailler dans les PAT.

Pour moi, c'est un truc qui a de l'avenir, ça peut être intéressant. Pourvu qu'on se dote d'outils pour travailler sur des volumes importants, des volumes qui donnent la possibilité de travailler pour tout le monde ».

Programme du Nouveau front Populaire pour l’Agriculture

  • Annuler l’accord économique et commercial global entre le
    Canada et l’Union européenne (CETA) ; renoncer à l’accord
    du Mercosur et protéger nos agriculteurs de la concurrence
    déloyale

  • Interdire l’importation de toute production agricole ne
    respectant pas nos normes sociales et environnementales

  • Lutter contre l’accaparement des terres et permettre à chaque
    agriculteur qui souhaite s’installer d’accéder à une exploitation
    pour préserver le modèle agricole familial

  • Soutenir la filière du bio et l’agroécologie, encourager la
    conversion en bio des exploitations en reprenant leur dette
    dans une caisse nationale et garantir un débouché aux produits
    bio dans la restauration collective

  • Rétablir le plan Ecophyto, interdire le glyphosate et les
    néonicotinoïdes avec accompagnement financier des paysans
    concernés

  • Défendre les zones agricoles, naturelles et les zones humides,
    doubler et améliorer la protection des aires maritimes protégées


 

 

 


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